Ilya Komov : « je peins en russe avec un fort accent français »

Rencontre avec le peintre russe Ilya Komov, un artiste singulier prisé par les plus grands collectionneurs de ce monde.

Ilya Komov dans son atelie

Ilya Komov est né en 1965 à Moscou et a étudié à l’Institut d’Académie d’Etat des Beaux Arts. Profondément religieux, il s’inspire des anciennes traditions de fresques russes, mais aussi de la technique des fauvistes pour créer ses tableaux.

La couleur est prédominante dans son travail, notamment dans ses portraits où elle devient, comme il l’explique : » le moyen de montrer le caractère et l’âme de la personne ».

Ses tableaux sont présents dans plusieurs collections privées, les plus célèbres détenteurs de son art sont l’ancien secrétaire général des Nations Unies Kofi Annan, la femme politique indienne Sonia Gandhi, mais aussi l’ancien président finlandais Mauno Koivisto.

ENTRETIEN avec Ilya Komov

Russie Info : Comment définissez-vous votre art ?

Ilya Komov : Mon art, c’est de la peinture russe avec un fort accent français. Elle est ainsi parce que j’aime beaucoup les icônes russes comme les peintures murales de l’église de Toutaïev (Toutaïev est une ville de l’oblast de Yaroslavl), et l’accent français vient du mouvement artistique fauviste qui m’inspire, notamment par les choix des couleurs.

Russie Info : La couleur est très importante dans votre travail, comment expliquez-vous cette particularité ?

Ilya Komov : Depuis mon enfance je suis attiré par les couleurs. S’il fallait choisir des livres ou des jouets, je prenais toujours ceux qui étaient les plus vifs.
Au départ d’une œuvre, je dessine les caractères sans réfléchir aux couleurs, le choix se fait ensuite de façon intuitive, d’après mes sentiments, d’après ce que je vois ; il n’y a pas de signification particulière pour le bleu ou le rouge, et il me semble juste important d’utiliser toutes les possibilités de la couleur.

Russie Info : Le portrait est votre genre de peinture préféré. Pourquoi ?

Ilya Komov : Je pense que mon langage artistique, c’est-à-dire la combinaison des couleurs à l’inspiration technique des fresques, est bon pour révéler le caractère d’une personne. C’est pourquoi je préfère choisir moi-même les personnages de mes tableaux, c’est très important car c’est souvent le mélange des traits physiques et du caractère des gens qui m’attire, et c’est cela que je veux montrer dans mes portraits.

Parfois il m’arrive de rencontrer des gens extraordinaires, et il m’est alors indispensable de les peindre. Ce fut le cas avec Michel Galabru et avec la plus vieille galeriste de France, Madame Liliane Breau-François.

Galabru peint par

Portraits

Russie Info : Quel est votre peintre préféré ?

Ilya Komov : C’est difficile de donner un seul nom. Comme je l’ai déjà dit, j’aime beaucoup les icônes russes car ces peintures, à travers leurs formes et leurs couleurs, transmettent une émotion. Comme elles ont été faîtes par des peintres moines, cette émotion est très forte, honnête et profonde. Pour cela, j’aime Dionisy et Goury Nikitine. Chez les peintres français, j’aime les fauvistes, et particulièrement Henri Matisse et André Derain. J’admire aussi le travail de Nicolas de Staël, Serge Poliakoff et Charles Lapique.

Russie Info : Dans votre art, on ressent un lien fort avec la France. Pourquoi ?

Ilya Komov : J’ai fait mes études dans une école spécialisée en langue française, j’ai beaucoup aimé cette langue et, à travers elle, la culture française : la littérature et la peinture du XXème siècle. Quand j’étudiais, je pensais qu’aller en France était irréel, mais en 2009, j’ai eu la chance d’être un des résidents de la Cité des Arts et j’ai pu me rendre à Paris pour la première fois pour travailler.

Avec ma femme Olga ( Olga Motovilova Komova est aussi peintre, ndlr) nous avons rencontré Madame Liliane Breau-François, la plus vieille galeriste de France. A l’époque, elle avait 98 ans. C’était incroyable, elle avait connu tous les peintres qui sont, pour moi, des légendes. Picasso était son voisin et Kees van Dongen a fait son portrait.
Elle m’a aidé à réaliser ma première exposition à Paris, en 2010, (La voix de la lumière à la Galerie Etienne de Causans), après il y en a eu d’autres, notamment au Carrousel du Louvre. Ce fut très important pour moi que cette personne particulièrement reconnaisse mon art comme quelque chose de bien, de beau et d’intéressant. Avec elle, c’est comme si je recevais la bénédiction de mes peintres préférés.

Russie Info : Quels sont les endroits en France qui vous inspirent le plus ?

Ilya Komov : Lorsque j’apprenais le français, je voulais toujours voir les Pyrénées. Et un jour, avec ma femme, nous avons trouvé sur Internet une annonce de la petite ville d’Arles-sur-Tech qui invitait et accueillait des peintres pour travailler. Nous leur avons écrit et ils nous ont invités.
C’était la première fois que la ville accueillait des peintres russes ! Et pour nous, c’était notre premier voyage dans les Pyrénées. Cette région est magnifique et nous avons eu la chance de visiter Collioure, la ville où Matisse et Derain ont inventé le fauvisme. Alors même si j’aime la capitale française, ces endroits dans les Pyrénées, si prisés par les fauvistes, sont pour moi des lieux cultes qui m’inspirent beaucoup.

Les Pyrénées
Collioure

Russie Info : Appartenez-vous à un mouvement artistique ?

Ilya Komov : J’ai souvent entendu parler de mon art comme étant de l’expressionisme russe, et à vrai dire, je ne partage pas à 100 % cet avis. Je n’ai jamais essayé d’inventer quelque chose ou d’établir un mouvement. Je reste modeste tout en étant éternellement insatisfait. Je dessine sans réfléchir, je peins ce que je vois et ce que je ressens. Je reçois l’impulsion de la vie et l’émotion se transforme en couleur. C’est pour cette raison que je ne travaille pas à partir de photos car je dois être en contact avec la nature ou le modèle.

Je peins ainsi depuis les années universitaires. Je me rappelle qu’à cette époque, Moscou a accueilli une exposition magnifique où il y avait des tableaux de Nicolas de Staël, Serge Poliakoff et Charles Lapique. Leur travail m’a beaucoup influencé et inspiré. Dès que j’ai commencé à dessiner dans ce style, en utilisant les couleurs, j’ai retrouvé les émotions ressenties lorsque j’étais enfant, cette joie enfantine lorsque je prenais des feutres et dessinais.

Russie Info : Avez-vous rencontré des problèmes pendant vos études à cause de votre style ?

Ilya Komov : Je ne peux pas dire que j’ai eu de vrais problèmes. Je faisais mes études universitaires pendant la perestroïka, donc c’était moins sévère, mais les traditions de l’école soviétique de la peinture persistaient. Je me souviens de l’un de mes tableaux qui a surpris mon professeur.
Il a dit : « Oh la classe ! Mais maintenant comment fait-on pour qu’il ressemble à ceux de tout le monde ? »
J’ai demandé : « Mais si c’est la classe, alors pourquoi faut-il qu’il ressemble à ceux de le monde ? »

Pour mon projet de fin d’étude, il fallait dessiner la jeunesse occupée au travail ou quelque chose de ce genre. J’ai choisi un sujet qui représente la famille et je l’ai peint au couteau dans mon propre style, qui était très différent de celui des autres élèves. Au final, la moitié du jury voulait m’attribuer la note de 5 (qui correspond à Excellent dans le système éducatif soviétique et russe) et l’autre moitié voulait mettre un 2 (la note la plus basse Non Passable). Enfin, ils m’ont attribué un 4 (Bien) car ils ne voulaient pas avoir d’histoires. Quelque temps plus tard, deux dames de l’Académie russe des Arts m’ont contacté. Elles avaient vu mon travail, l’avaient trouvé intéressant et novateur, et voulaient écrire un article sur moi. Mon style n’a pas été toujours approuvé, mais d’un autre côté, il m’a aidé à faire carrière.

Komov et Liliane Breau-François

Russie Info : Vous êtes une personne très croyante et religieuse. Comment l’orthodoxie influence-t-elle votre travail ?

Ilya Komov : Je ne peux pas vous donner de réponse précise, car moi-même je ne la connais pas. Il est clair que la religion m’influence beaucoup : grâce à elle, je regarde la vie, les hommes et la nature autrement. Penser à l’éternité permet de ressentir plus profondément le monde. Je veux que mes tableaux évoquent des sentiments, des émotions. J’aimerais bien qu’ils puissent rapprocher de Dieu les gens qui les regardent.

Russie Info : Pourtant vous ne dessinez jamais d’icônes ou d’églises…

Ilya Komov : Faire une icône est une grande responsabilité. Par contre, j’ai fait les toiles qui représentent des églises ou des processions, mais je suis avant tout un peintre laïque, et je pense que rien ne doit être montré directement. Et puis, ce n’est pas parce que tu dessines tout le temps des dômes que cela signifie que tu es un peintre orthodoxe et croyant. Parfois une simple fleur peut montrer tout le sens et la profondeur de la vie, et évoquer l’éternité.

Encore étudiant, je regardais le travail des autres artistes et je voulais atteindre la même profondeur d’expression. Et un jour, j’ai réalisé que les peintres dont les tableaux me plaisent sont des personnes croyantes. Et au contraire, que les artistes dont je n’apprécie pas le travail sont athées. C’est assez intéressant, comme si Dieu pouvait te ramener vers la foi à travers tes choix de peintres.

Russie Info : Est-ce que la religion met des limites à votre art ?

Ilya Komov : Un jour mon confesseur m’a dit : « Lorsque tu peins un portrait, essaye de montrer l’image de Dieu, ou ce qui la cache, c’est-à-dire le péché« . J’essaie de suivre son conseil.
Quand j’étais jeune, je dessinais souvent des compositions nues, et un prêtre m’a dit qu’il fallait peut être arrêter. Du coup, je ne dessine plus de sujets nus, car je pense que le prêtre avait raison : cela ne sert à rien de provoquer le péché. La religion ne m’impose aucune autre limite, elle donne plutôt la liberté de création.

Russie Info : Vous est-il déjà arrivé de détruire vos tableaux ?

Ilya Komov : Oui, bien sûr. C’était pendant les années 1990, c’était la crise et j’ai détruit beaucoup de tableaux qui ne me paraissaient pas réussis pour récupérer les matériaux : je les lavais dans la baignoire pour prendre les toiles et les cadres.

Russie Info : Regrettez-vous de les avoir détruits ?

Ilya Komov : Oui. Je me souviens d’un tableau qui plaisait à ma mère, d’ailleurs, elle s’en souvient toujours. C’était un jardin avec des fleurs, quelque chose de très simple. Ma mère m’a dit : « Ce tableau-là, tu ne le touches pas, c’est ma peinture préférée et c’est ta meilleure œuvre ». Je ne l’ai pas écoutée et je l’ai nettoyé avec les autres dans la baignoire.

15 ou 20 ans plus tard, j’ai retrouvé un album avec les photos de mes tableaux, y compris ce petit jardin aux fleurs. J’ai alors regardé cette œuvre avec les yeux d’un observateur et non avec ceux de l’auteur et j’ai réalisé que cette peinture avait vraiment quelque chose de radieux, de tendre.
J’ai regretté de l’avoir détruit et cela m’a servi de leçon : parfois l’auteur ne peut pas évaluer correctement son travail, il a besoin d’un public averti.

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